Auteurs : Sylvain Bonvalot, Jean-Daniel Bernard, Jean-Paul Boy, Cédric Champollion, Alain Coulomb, Michel Diament, Germinal Gabalda, Thierry Gattacceca, Jacques Hinderer, Thomas Jacob, Sylvain Lucas, Marie-Françoise Lalancette-Lequentrec, Nicolas Le Moigne, Laurent Longuevergne, Guillaume Martelet, Sébastien Merlet, Gwendoline Pajot-Metivier, Franck Pereira Dos Santos, Lucia Seoane

Résif-GMOB, parc national d’instruments gravimétriques mobiles coordonné par le CNRS/INSU et composante instrumentale de Résif, offre aux équipes scientifiques françaises un ensemble de moyens, de mesures et de services pour des études du champ de pesanteur. Ce parc instrumental comprend divers capteurs complémentaires permettant de mesurer avec une précision variant de quelques 10-8 à 10-11 g [1], les variations spatiales ou temporelles de la pesanteur. Mis en oeuvre principalement sur le terrain pour des levés de reconnaissance et l’établissement de réseaux mais aussi ponctuellement en laboratoire pour des mesures permanentes à semi-permanentes, ces différentes capteurs contribuent à caractériser et à quantifier des variations de masse ou de densité intervenant au voisinage de la surface terrestre ou à l’intérieur de la Terre. Complété par des observatoires permanents et également par d’autres moyens de mesures gravimétriques disponibles en France auprès!s de divers organismes ou provenant d’autres programmes de recherche, Résif-GMOB contribue aujourd’hui à consolider une infrastructure gravimétrique nationale de premier plan construite sur plusieurs décennies et permettant de répondre à de nombreuses applications de recherche fondamentale ou appliquée en géodésie, géophysique, géologie, hydrologie, océanographie, métrologie.

Des années 50 à aujourd’hui…

Initié au milieu des années 90, GMOB est né de plusieurs décennies d’investissements des équipes françaises dans l’acquisition de moyens de mesures gravimétriques pour des fins de recherche académique et l’établissement de réseaux de référence. Ces investissements ont suivi les évolutions techniques survenues dès les années 50 dans la conception de capteurs gravimétriques miniaturisés, développements issus presque exclusivement depuis un demi-siècle des Etats-Unis et du Canada (constructeurs North American, Worden LaCoste & Romberg, Scintrex, GWR, Micro-g LaCoste). Les premiers gravimètres relatifs de terrain ont ainsi été acquis dès le milieu des années 50 par l’IGN et l’ORSTOM/IRD et on permis la réalisation des levés de reconnaissance et l’établissement des premiers réseaux de bases en métropole, dans les DOM-TOM [2], sur le continent africain et dans le Sud-Ouest Pacifique (travaux réalisés principalement jusqu’au milieu des années 70 avec une dizaine d’instruments). Ces travaux incluaient l’établissement de bases dites « absolues » réalisées en réalité par des mesures relatives rattachées à de rares stations de mesures absolues disponibles en Europe. Les investissements en moyens de mesures se sont ensuite poursuivis dans les années 60-70, avec l’acquisition de gravimètres relatifs de terrain plus portables (gravimètres Worden ou LaCoste & Romberg) par divers instituts ou laboratoires de recherche (CNRS, BRGM, IPGP, IRD, Université de Montpellier, etc.) pour compléter la couverture gravimétrique sur le territoire national (métropole et DOM-TOM) et développer des applications de recherche en géologie structurale, en prospection géophysique, en volcanologie, etc. Parallèlement, des études sur les variations temporelles de la pesanteur et des marées terrestres ont été entreprises conduisant à l’installation en 1954 d’un premier gravimètre enregistreur permanent (gravimètre LaCoste & Romberg) à l’Observatoire / Institut de Physique du Globe de Strasbourg. Cet instrument fut par la suite remplacé dès 1987 par le premier gravimètre cryogénique acquis en France (gravimètre supraconducteur GWR), instrument de plus grande sensibilité et de très faible dérive instrumentale, permettant d’initier des recherches sur la dynamique de la Terre et de son noyau liquide sur une étendue spectrale allant de quelques minutes à plusieurs années.

Comme pour les gravimètres d’observatoires, un saut technologique a été franchi au cours des années 90, dans l’instrumentation gravimétrique mobile, avec l’avènement de gravimètres de terrain à acquisition numérique (Scintrex CG3 prédécesseur des actuels CG5 et CG6) et de gravimètres absolus basés sur la chute libre d’un corps (coin cube) dans le vide permettant la réalisation de mesures absolues (gravimètre Micro-g LaCoste FG5 et A10 dans sa version portable de terrain commercialisé au début des années 2000). La plupart des organismes nationaux (CNRS, CNES, BRGM, IRD, IPGP, IGN, IFREMER, SHOM, etc.) et laboratoires universitaires (Paris, Toulouse, Montpellier, Strasbourg, Rennes, La Rochelle, Brest, Trappes, Clermont-Ferrand, etc.) impliqués dans la gravimétrie en France ont alors soutenu l’acquisition d’instruments de laboratoire ou de terrain qui ont constitué les prémices du parc instrumental national actuel. Ces moyens, récemment complétés par le programme Equipex – Investissement d’Avenir 2012 – (voir plus loin) fournissent aujourd’hui une infrastructure gravimétrique originale, très complémentaire aux observatoires spatiales (missions GOCE, GRACE, GRACE-FO), exploitée pour aborder des questions scientifiques très diverses à la fois sur le territoire national mais aussi sur de nombreux chantiers à l’étranger où les équipes sont impliquées. A noter enfin que les gravimètres relatifs de Résif-GMOB sont également utilisés pour la formation des étudiants lors de stages de terrain.

Figure 1 : Principaux types d’instruments gravimétriques déployés par les équipes françaises

De nouveaux moyens de mesures

Les moyens de mesures gravimétriques Résif se répartissent autour de 3 types d’instruments : des gravimètres relatifs de terrain de grande portabilité utilisés pour des levés de reconnaissance à différentes échelles, depuis la prospection microgravimétrique jusqu’au levé de reconnaissance, des gravimètres absolus portables ou transportables mis en oeuvre en laboratoire ou dans des conditions de terrain pour des déterminations précises et absolues de la pesanteur (réseau de référence, suivi de variations temporelles, métrologie, étalonnage d’instruments relatifs, etc.) et des gravimètres relatifs supraconducteurs installés pour un suivi temporel de quelques mois à quelques années des variations du champ de pesanteur en un lieu donné (voire de plusieurs décennies pour l’observatoire gravimétrique de Strasbourg).

L’Equipex Résif-Core a permis d’entreprendre une jouvence des moyens de mesures mobiles et permanentes avec l’acquisition de deux nouveaux gravimètres de terrain (Scintrex CG5) et d’un gravimètre cryogénique (GWR iOSG) venu remplacer en 2016 celui de l’Observatoire de Strasbourg, en opération depuis plus de 20 ans. Il a aussi permis de soutenir, à travers un partenariat public-privé avec la société français Muquans, créée en 2011, le développement des premiers gravimètres absolus AQG (pour Absolute Quantum Gravimeter ou gravimètres à ondes de matières) portables et commercialisés au monde (voir Newsletter Résif n°1). Grâce à des financements complémentaires (IDEX Toulouse, IRD, CNRS/INSU), deux nouveaux gravimètres AQG viendront ainsi équiper les groupes français.

Dans le domaine de l’observation permanente à semi-permanente, deux autres Equipex, CRITEX et MIGA ont également permis d’acquérir plusieurs gravimètres supra-conducteurs (GWR iOSG et iGrav) pour des projets appliqués respectivement à l’étude de la zone critique (redistribution des masses d’eau dans les milieux souterrains) ou à la physique fondamentale (étude des ondes gravitationnelles), augmentant ainsi sensiblement les capacités de mesures gravimétriques en continu sur le territoire national. La figure 1 montre les principaux types d’instruments mobiles ou permanents dont disposent actuellement les équipes françaises pour des applications de recherche académique. Des informations plus précises sur les ressources disponibles et les modalités d’utilisation sont fournis sur le site de Résif-GMOB.

Figure 2 : Etat des lieux de l’infrastructure gravimétrique en France métropolitaine. Gauche) Distribution des données gravimétriques terrestres et marines disponibles au BGI (avec contributions BRGM, SHOM et IFREMER) ; Milieu) Réseau gravimétrique de référence RGF établi par l’IGN à partir de campagnes hybrides de mesures absolues et relatives ; Droite) Réseau de suivi temporel des variations de gravité par mesures permanentes (gravimètres supra-conducteurs) et mesures absolues réitérées. Les stations permanentes actives (violet) et en projet (violet clair) incluent les contributions Résif (cercles), CRITEX (hexagones), MIGA (pentagone) et LNE (carré).

De nouveaux acteurs de l’instrumentation gravimétrique

Cette dernière décennie a vu l’émergence en France de 3 nouveaux acteurs reconnus au niveau international pour leurs activités R&D dans le domaine de l’instrumentation gravimétrique. Ces acteurs, publics ou prévis, sont impliqués dans la conception de capteurs (gravimètres ou gravimètres) utilisant les propriétés des ondes de matières pour déterminer le module ou les gradients de gravité. Ces techniques de mesures basées sur l’utilisation d’atomes froids représentent la principale innovation technologique depuis ces 20 dernières années dans la mesure du champ de pesanteur. Elles constituent un nouveau champ de recherche, aujourd’hui exploré dans de nombreux pays, qui devrait donner lieu dans les années à venir au développement de capteurs originaux pour un large éventail de mesures de la gravité : mesures ponctuelles ou en continu à haute fréquence, mesures absolues ou mesures gradiométriques, mesures in situ (de surface, de puits ou sous-marines) ou mesures embarquées sur différentes plateformes (véhicules, bateaux, sous-marins, satellites). Dans cette compétition internationale, ces laboratoires ont été parmi les premiers à proposer des réalisations pratiques opérationnelles d’instruments de mesures absolues qui ont pu être testés scientifiquement, notamment en lien avec Résif-GMOB :

  • Le LNE/SYRTE (UMR 8630), avec le développement d’un premier gravimètre à atomes froids transportable (CAG) au début de cette décennie dont les performances ont pu être comparées à d’autres instruments de référence lors de campagnes internationales d’inter-comparaisons de gravimètres absolus. Le site LNE de Trappes étant également amené à devenir site principal pour l’inter-comparaison des gravimètres absolus nationaux.
  • MUQUANS avec le développement des premiers gravimètres à atomes froids miniaturisés (AQG) effectué dans le cadre d’un partenariat avec Résif.
  • L’ONERA avec le développement d’un gravimètre à atomes froids mobile pour des mesures dynamiques (GIRAFE/GIRAFE2) testé en collaboration avec le SHOM lors de campagnes marines. Cet instrument sera prochainement testé dans des conditions de mesures aéroportées dans le cadre d’un projet soutenu par le CNES.

Un réseau d’observations complémentaires

Les travaux gravimétriques conduits depuis plusieurs décennies par les équipes françaises ont conduit à définir un référentiel gravimétrique d’un très bon niveau (parmi les meilleurs au niveau européen), que ce soir par la couverture gravimétrique terrestre (sous responsabilité du BRGM) ou marine (sous responsabilité de l’IFREMER et du SHOM) ou encore par les réseaux matérialisés (sous responsabilité de l’IGN). A cela s’ajoute un nombre croissant de sites où des observations gravimétriques relatives ou absolues sont acquises de façon permanente, semi-permanente ou réitérée, de plus en plus colocalisées avec d’autres réseaux (géodésiques, sismologiques, marégraphiques) en particulier dans le cadre de l’IR SOERE Résif. La figure 2 montre l’état des lieux des observations actuellement disponibles sur la France métropolitaine, reflétant 3 composantes fortes du dispositif d’observation gravimétrique en termes (i) de connaissance du champ statique par des mesures ponctuelles, (ii) de suivi temporel par des observations permanentes et semi-permanentes et (iii) de réseaux et sites gravimétriques de référence. A noter enfin que de nombreuses autres observations sont aussi disponibles dans les ROM-COM [3] et dans différentes régions du monde (Europe, Amérique du Sud, Afrique, Asie, Pacifique, zones polaires) où les équipes françaises contribuent activement à l’acquisition de données gravimétriques à Terre (campagnes de mesures relatives ou absolues, réseaux de référence) ou en mer (campagnes de mesures océanographiques). L’ensemble de ces données, ainsi que des produits et autres outils destinés aux utilisateurs scientifiques, sont accessibles à travers les services scientifiques internationaux de l’IAG (également reconnus composante du Service National d’Observation Gravimétrie-Géodésie), à savoir le Bureau Gravimétrique International (BGI) en charge de l’archivage de la distribution de toutes mesures gravimétriques relatives ou absolues acquises à la surface du globe et l’International Geodynamics and Earth Tide Service (IGETS) collectant et redistribuant les séries temporelles de pesanteur et d’autres capteurs géodynamiques associés.

Perspectives

L’utilisation de technologies innovantes d’atomes froids pour la mesure de la pesanteur et le positionnement de pointe des laboratoires métrologiques français dans la conception de capteurs innovants (gravimètres ou gravimètres) ouvre aussi de nouvelles pistes pour l’observation gravimétrique in situ mais également spatiale. Cette dynamique permet aujourd’hui de mieux structure la communauté autour de moyens et outils communs, et de disposer d’un ensemble croissant d’observations complémentaires de plus en plus homogènes et précises, pour étudier les variations spatiales et temporelles de la pesanteur et répondre à des problématiques scientifiques variées (physique du globe, risques naturels, enveloppes fluides terrestres, ressources, physique fondamentale, métrologie, systèmes et réseaux de référence, etc.). L’une des conséquences est aussi un élargissement de la communauté des utilisateurs de la gravimétrie en France vers un plus grand nombre de spécialistes (géophysiciens, géodésiens, géologues, hydrologues, volcanologues, sismologues, modélisateurs, etc.) et le développement de nouvelles synergies avec des laboratoires de métrologie et des développeurs industriels.

Contact

Sylvain Bonvalot, GET, Toulouse : sylvain.bonvalot@get.omp.eu

Article paru dans la Newsletter Résif n°13, janvier 2018


[1] g : accélération de la pesanteur à la surface de la Terre
[2] DOM-TOM : Départements d’Outre-Mer – Territoires d’Outre-Mer
[3] ROM-COM : Régions d’Outre-Mer – Collectivités d’Outre-Mer